Pour une politique nationale du numérique

[Présentation d'Alexandre Cloutier et Gaétan Lelièvre devant la Tribune de la presse, à Québec, le 24 février 2015. La version prononcée fait foi.]

sortienumerique

La Révolution numérique change la vie des Québécois et des Québécoises. Internet transforme les rapports sociaux, la façon dont nous interagissons entre nous. Il bouleverse notre économie, facilite les échanges commerciaux, change le comportement des consommateurs. Le virage numérique démocratise le savoir, facilite le partage des connaissances et, bientôt, transformera notre système d’éducation. Bref, le virage numérique peut devenir l’un des plus importants chantiers de développement économique et social du 21e siècle.

Pour tirer profit de cet avantage numérique, il nous faut une vision claire de développement et, surtout, un pilote dans l’avion pour diriger ce grand chantier. Plusieurs pays, notamment la France, l’ont bien compris. Il y a un an, Axelle Lemaire a été nommée au poste de Secrétaire d’État chargée du numérique. Elle déposera la première stratégie numérique de la France ce printemps, quelques semaines avant que la Commission européenne en fasse de même. Il est grand temps que le Québec emboîte le pas et développe son propre « plan numérique ».

C’est pourquoi je propose de doter le Québec de sa première Politique nationale du numérique, qui repose essentiellement sur trois piliers :

(1)  Mettre fin au Far West dans le domaine de l’informatique au gouvernement en nommant un shérif pour mettre de l’ordre. Une personnalité politique élue et imputable, qui doive répondre de ses actes. Ce sont des centaines de millions $, de l’argent des Québécois, qui pourraient être économisés chaque année.

(2)  Deuxièmement, prendre le virage de l’économie numérique

(3)  Et troisièmement, offrir à l’ensemble de la population des services internet et de téléphonie cellulaire digne de notre temps, et adapter notre système d’éducation à l’ère du numérique.

 

UN GOUVERNEMENT EFFICACE ET PERFORMANT

Il y a urgence de mettre fin au gouffre financier de ce qu’on a appelé, avec raison, le « bordel informatique. » On peut se rappeler quelques exemples :

  • Le projet SAGIR, qui devait coûter 83 millions $ et être livré en 2007, a déjà coûté plus d’un milliard $, et on ne sait toujours pas quand il sera complètement opérationnel.
  • Le Dossier Santé Québec (DSQ), dont les coûts étaient initialement estimés à 563 millions $ et qui en coûtera minimum 1,4 milliard $, le jour où il sera enfin complété. Dois-je rappeler que l’on travaille depuis 1992 à l’informatisation de la santé.
  • Le recours massif à des consultants privés, qui aurait coûté plus d’un milliard $ au gouvernement en 2014.
  • Le projet d’informatisation de la justice. Commencé en 2001, promis pour 2007, le projet a été retourné au point de départ en 2013. Quelque 75 M$ ont été tirés par les fenêtres.
  • Le système informatique de la CARRA, dont les ratés et les blocages ont provoqué une véritable crise au sein de l’organisme en 2010.
  • À cela s’ajoute le logiciel libre, qui tarde à être implanté dans l’administration publique, alors qu’il permettrait des économies substantielles pour le gouvernement.
  • Et nos 457 centres de traitement informatiques, qui pourraient être fusionnés pour économiser 100 millions $ par année, selon un rapport de Ernst & Young. Le Canada est passé de 800 centres à 7. L’Ontario: de 300 à 2. La Colombie-Britannique: de 100 à 2. Il y a de sérieuses questions qui se posent au Québec.

 

Faites-le calcul de tout ce gaspillage de fonds publics et vous arrivez à peu près à 3 milliards $ payés en trop. Bref, régler le problème informatique au Québec et vous venez de régler en grande partie le problème du déficit, sans avoir à couper partout et à hausser les tarifs des Québécois.

Ce que je veux, c’est qu’il y ait un ministre pour assurer une meilleure coordination entre les services informatiques des différents organismes publics. Un élu qui doive répondre de ses actes. Entre autres mesures, nous devons:

  • Reconstruire l’expertise interne du gouvernement en informatique pour éviter les coûts astronomiques reliés à l’embauche de consultants externes.
  • Insérer des critères « d’interopérabilité » dans les appels d’offres pour des contrats informatiques, pour s’assurer que les logiciels utilisés par un ministère soient compatibles avec ceux des autres organismes publics.

 

PRENDRE LE VIRAGE DE L’ÉCONOMIE NUMÉRIQUE

Le Québec doit aussi se positionner pour tirer profit des opportunités économiques créées par la Révolution numérique. L’industrie des technologies de l’information et des communications (TIC) génère déjà des recettes de plus de 30 milliards de dollars et plus de 121 000 emplois dans quelque 7000 entreprises. Elle représente 5,1% du PIB du Québec.

Si vous regardez le palmarès 2014 des « leaders de la croissance », compilé chaque année par le magazine L’actualité, vous constaterez que 8 des 15 entreprises québécoises ayant affiché le plus haut taux de croissance depuis 2008 œuvrent dans le domaine de l’économie numérique. Au moment où notre économie stagne, il faut absolument se doter d’une vision et d’un plan pour stimuler l’émergence de ces petites entreprises à très fort potentiel de développement, les fameuses startups, qui seront sous la responsabilité du ministre du Numérique.

Le Québec est aussi en retard dans le virage du commerce en ligne. Il faut arrêter l’hécatombe et les fermetures dans le domaine du commerce de détail. En 2013, les Québécois ont acheté pour 7,3 milliards de dollars en ligne. Malheureusement, seulement le quart de cet argent a été dépensé au Québec, la plupart des achats en ligne se faisant sur des sites américains. La raison est fort simple : seulement 15% de nos entreprises font des ventes en ligne!

Enfin, toujours sur le plan économique, un ministre responsable du Numérique devrait soutenir l’implantation de centre de données sur le territoire québécois. On sait que plusieurs géants de l’Internet – notamment Google, Microsoft et Amazon – ont présentement leurs centres de données en Irlande, en raison du climat frais et du bas coût de l’énergie là-bas. Ce sont des avantages comparatifs que le Québec possède également. Nous pourrions devenir un leader mondial des centres de données.

L’hébergeur européen OVH a d’ailleurs construit en 2012 le plus gros centre de données au monde à Beauharnois, dans l’ancienne usine de Rio Tinto Alcan. Cela a permis de créer 117 emplois. Il faut aller chercher d’autres gros joueurs du genre. Je rêve de voir des géants comme Google, Microsoft et Facebook s’établir dans le Nord-du-Québec, sur la Côte-Nord, en Mauricie, en Abitibi et au Lac-Saint-Jean.

 

UNE POPULATION BRANCHÉE ET ÉDUQUÉE

Enfin, 3e pilier de la politique, il faut améliorer les infrastructures numériques du Québec, pour assurer une couverture internet de qualité sur l’ensemble du territoire québécois. Comme député de Lac-Saint-Jean, je peux vous dire qu’il y a plein d’endroits dans mon comté où c’est impossible d’avoir accès à de l’internet haute vitesse et à un réseau de téléphonie cellulaire. Là-dessus, je céderai la parole à Gaétan.

 

[GAÉTAN LELIÈVRE] :

En tant que député de Gaspé et ancien ministre des Régions, je suis de ceux qui croient beaucoup au virage numérique pour diminuer les inégalités entre les régions du Québec. Internet diminue l’importance des distances et de la géographie. Il permet à des entrepreneurs des régions éloignées de faire des affaires avec le monde entier. Il permet aux étudiants de suivre des cours en ligne dans les meilleures universités, peu importe d’où ils viennent, même s’ils n’ont pas de cégep ou d’université à proximité de chez eux.

Pour cela, il faut cependant avoir accès à des infrastructures numériques de qualité. Sinon, on crée deux classes de régions : les régions branchées et les régions isolées. Le Québec a déjà beaucoup amélioré ses infrastructures numériques, dans les dernières années, mais il y a encore du chemin à faire.

Selon la plus récente étude de l’Institut de la statistique du Québec, 30% des ménages de la Gaspésie n’étaient toujours pas branchés à Internet, contre 15 ou 16% à Québec et Montréal. Le programme Collectivités rurales branchées a permis d’augmenter la proportion des ménages ruraux au Québec ayant accès à un internet de base.

Mais le problème, c’est que dans bon nombre des cas, on parle d’un service qui est malheureusement déjà désuet. La vitesse est beaucoup trop lente pour répondre aux besoins des citoyens et, surtout, des entreprises. Cela nuit au développement économique de nos régions.

Bref, une Politique nationale du numérique devrait permettre :

  • Assurer une couverture mobile et internet sur l’ensemble du territoire québécois.
  • Améliorer la vitesse moyenne de notre bande passante. L’internet à très haute vitesse est encore trop peu disponible au Québec, si on se compare à des pays comme la Corée du Sud, le Japon et la Suède, alors que les besoins des entreprises exigent de plus en plus un service plus rapide.
  • Donner accès à du WiFi gratuit dans tous les édifices gouvernementaux et transformer les vieilles cabines téléphoniques en bornes WiFi. (Cela s’est fait à New York, notamment.

Enfin, en matière d’éducation:

  • Offrir de la formation continue aux professionnels, notamment aux enseignants, pour améliorer leur connaissance des nouvelles technologies.
  • Insérer des cours de base en programmation dans le cursus scolaire.
  • Bonifier l’offre de formation professionnelle, collégiale et universitaire dans le domaine du numérique et des TIC, afin de répondre à la demande croissante de main-d’œuvre dans ce secteur.
  • Doter chaque MRC qui n’a pas d’institution scolaire ou universitaire sur son territoire d’une antenne de télé-enseignement. Un projet-pilote a été réalisé avec succès dans la MRC de la Haute-Gaspésie.
  • Enfin, développer l’offre de cours en ligne ouverts aux masses (CLOMs – Massive open online course (MOOCs) en anglais). L’Université Laval, l’UQTR, la TÉLUQ et HEC Montréal, entre autres, ont déjà développé des cours de ce genre, qui permettent d’enseigner à des milliers d’étudiants à la fois.

À très faible coût, internet permet de donner accès à de la connaissance et à de la formation aux populations de toute les régions du Québec. Il faut utiliser au maximum ces nouvelles possibilités.

 

[Période de questions.]